Le concept d'« héritage numérique » est un terme juridique nouveau et largement répandu qui désigne le transfert de droits sur des actifs numériques au sens large. Il s'agit d'un terme collectif utilisé pour traiter les questions juridiques liées à la succession d'actifs numériques. En général, seuls les actifs numériques transmissibles, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas intrinsèquement liés à la personnalité du testateur, peuvent être transférés par succession universelle. Les possibilités d'héritage numérique par la loi ou par testament sont limitées par les termes des contrats (licences, services, confidentialité) et/ou par le droit constitutionnel à la vie privée. Le droit de la propriété intellectuelle, la protection des données personnelles et les réglementations en matière de confidentialité doivent être pris en considération lorsqu'il s'agit d'actifs numériques.
Il n'existe pas d'approche unifiée pour définir les actifs numériques dans la littérature actuelle. Une approche large considère un actif numérique comme toute information stockée et transmise électroniquement qui peut être possédée et à laquelle des droits de propriété et d'utilisation sont associés. Dans un sens plus restreint, les actifs numériques sont de nouveaux objets économiques créés à l'aide de technologies numériques, nécessitant un régime juridique spécial, comme les jetons, les cryptomonnaies, le Big Data, les noms de domaine, les comptes de réseaux sociaux et les biens de jeux virtuels.
Comparaison par pays :
Russie :
- Le sujet est récemment devenu populaire parmi les juristes.
- Le problème de l'héritage des actifs numériques est examiné à travers le prisme des Articles 128 et 141.1 du Code civil de la Fédération de Russie.
- Initialement, seule une approche étroite considérait le droit numérique comme un jeton, capable d'être un objet autonome d'héritage.
- Le législateur russe est en voie de résoudre ce problème. L'Article 6 de la Loi sur les Actifs Financiers Numériques (2020) permet la délivrance d'un certificat de succession pour le transfert d'actifs financiers numériques spécifiques par succession universelle.
- La loi russe n'interdit pas de lister les données d'accès (identifiants, mots de passe) aux ressources Internet pour obtenir des actifs numériques dans un testament.
- Les notaires russes recommandent de spécifier dans le testament ce qui doit advenir de l'actif numérique après le décès (suppression ou création d'une page commémorative) et de désigner un "exécuteur testamentaire des médias sociaux" (un parent ou le notaire).
- L'indication des actifs numériques dans le certificat de succession n'est pas nécessaire actuellement. Les actifs numériques sont inclus dans le concept de propriété selon l'Article 128 du Code civil, ce qui favorise leur transfert par succession.
- Le certificat de droit à l'héritage peut ne pas spécifier les biens hérités exacts, mais les décrire comme "...quoi qu'il en soit et où qu'il se trouve", ce qui soutient l'héritage des actifs numériques en Russie.
- Un problème se pose avec les formulaires de clause de non-responsabilité qui définissent librement la propriété héritée, car ils ne conviennent pas pour confirmer le droit d'hériter de biens situés à l'étranger.
Royaume-Uni (UK) :
- Les actifs numériques ont une valeur considérable : £2.3 milliards en cloud en 2011, et £25 milliards en 2013.
- Le domaine juridique est flou, avec des difficultés autour du droit de la propriété, des testaments, des successions, des trusts, de la propriété intellectuelle, de la protection des données, des contrats et de la juridiction.
- Les lois sur les testaments, les successions, les contrats et la propriété diffèrent entre l'Angleterre et le Pays de Galles, l'Écosse et l'Irlande du Nord, tandis que la propriété intellectuelle et la protection des données sont harmonisées.
- Il n'y a pas de définition juridique appropriée des actifs numériques. La Commission du droit a récemment estimé qu'une "définition formelle exhaustive" n'était pas nécessaire.
- Les comptes d'utilisateur et les logiciels sous-jacents sont la propriété intellectuelle du fournisseur de services. Les droits d'auteur sur le contenu publié sont héritables (70 ans post-mortem).
- Le contenu non publié sur Facebook pose problème, car les comptes ne sont pas considérés comme des "choses matérielles" au sens de la loi sur le droit d'auteur.
- Les données personnelles et les informations ne sont généralement pas considérées comme des biens et ne peuvent donc pas être transmises par les mécanismes de succession habituels.
- Les lois sur les testaments sont restrictives et ne reconnaissent pas la technologie pour la disposition des actifs numériques.
- La Commission du droit, bien que consultant sur les testaments électroniques, évite les actifs numériques et la vie privée post-mortem, les considérant principalement comme des questions de droit des contrats. Cette approche est critiquée pour ne pas favoriser une harmonisation législative holistique.
- Le droit britannique ne protège pas la vie privée post-mortem en tant que notion distincte ; la loi sur la protection des données de 1998 définit les données personnelles comme celles relatives à un "individu vivant".
- Les solutions pratiques actuelles, comme la liste des identifiants et mots de passe dans une lettre accompagnant le testament (non dans le testament lui-même pour éviter qu'il ne devienne public), sont découragées car elles enfreignent la plupart des conditions d'utilisation et les listes peuvent devenir obsolètes.
- Des réformes sont nécessaires, y compris une législation spécifique aux actifs numériques, à la protection des données et au droit d'auteur.
États-Unis (USA) :
- Le concept d'« intestacy » (mourir sans testament) est très pertinent, car de nombreux "baby boomers" ne sont pas conscients de leurs propriétés numériques et ne prévoient pas leur transfert.
- La loi actuelle est jugée insuffisante, et les statuts d'intestacy doivent évoluer pour refléter l'ère numérique.
- Les actifs numériques comprennent un large éventail d'éléments tels que photos, vidéos, e-mails, listes de lecture, dossiers médicaux et fiscaux stockés, comptes de réseaux sociaux (Facebook, Twitter), systèmes de paiement de factures en ligne, comptes bancaires en ligne, PayPal, sites d'achat, noms de blog et de domaine précieux, ou actifs liés à des activités commerciales.
- La difficulté d'accès est aggravée par le nombre élevé de mots de passe (moyenne de 25 par individu) qui sont encouragés à être complexes et non écrits.
- Les actifs numériques étaient estimés à environ 55 000 $ par consommateur américain en 2011.
- Le Computer Fraud and Abuse Act (CFAA) de 1984, qui interdit l'accès non autorisé à un ordinateur, peut s'appliquer à la collecte d'actifs numériques d'un défunt.
- Les Conditions Générales de Service (TOSA) sont des accords contractuels contraignants qui peuvent empêcher les héritiers d'accéder ou de supprimer un compte (par exemple, Skype, WordPress).
- Le Stored Communications Act (SCA) protège la confidentialité des communications stockées, ce qui rend l'accès des fiduciaires ambigu et difficile à obtenir, souvent nécessitant une ordonnance du tribunal. Le cas In re Facebook (2012) a illustré ce défi.
- Le Uniform Fiduciary Access to Digital Assets Act (FADA) et le Revised Uniform Fiduciary Access to Digital Assets Act (RUFADAA) de 2014 accordent le droit aux détenteurs d'actifs numériques de fournir des informations à leurs dépositaires sur les personnes autorisées à y accéder.
- Les politiques des fournisseurs de services varient ; par exemple, Yahoo! désactive les comptes au décès, tandis que Dropbox autorise l'accès avec des documents justificatifs, y compris une ordonnance du tribunal prouvant l'intention du défunt.
- Le code des successions du Massachusetts (MUPC) couvre les biens incorporels, mais ne mentionne pas spécifiquement les actifs numériques, créant une ambiguïté.
- Les actifs numériques sous licence (par exemple, les fichiers iTunes) ne sont pas considérés comme la propriété du défunt et ne sont pas transmissibles.
- Pour éviter la perte de valeur des actifs (blogs ou sites web générant des revenus) en attendant une ordonnance du tribunal, des services spécialisés existent, mais les personnes décédées intestat n'y ont probablement pas eu recours.
- Le vol d'identité post-mortem est une préoccupation majeure (jusqu'à 9 millions de victimes par an) ; une législation est nécessaire pour combler le vide entre le décès et l'administration de la succession.
- Les alternatives à la législation incluent les "coffres-forts à mots de passe", les "fiducies révocables" pour les actifs numériques (DAP Trust) et les "services de planification successorale numérique (DEP services)". Cependant, ces solutions peuvent enfreindre les TOSA.
- La critique de la législation sur l'intestacy est qu'elle pourrait encourager les gens à ne pas faire de testament, ce qui n'est pas idéal en raison des coûts et délais du probate et de la disposition des biens.
Chine :
- Des propositions concernant l'héritage numérique sont avancées par les entreprises Internet, les utilisateurs et le gouvernement.
Italie :
- La loi italienne sur les successions contient des règles pour le transfert des données personnelles du défunt.
- Les droits liés aux données personnelles du défunt peuvent être exercés par des personnes agissant dans leur propre intérêt ou pour protéger les intérêts du défunt.
- Le RGPD ne contient pas de règles spécifiques pour les données des personnes décédées, laissant aux États membres le soin de les établir. L'Italie a adapté sa législation via le Décret Législatif n° 101 de 2018, permettant l'exercice des droits du RGPD (articles 15-22) pour les personnes décédées par ceux qui agissent dans leur propre intérêt ou dans celui du défunt.
- L'accès au compte peut être considéré comme faisant partie de la succession.
Pays-Bas :
- Les héritiers succèdent de plein droit aux droits transmissibles du défunt (principe de la saisine). Cela signifie qu'ils n'ont pas besoin d'un transfert individuel des actifs, des droits d'auteur ou de l'assignation de contrats.
- Une clause de non-transférabilité d'une créance (souvent présente dans les licences) peut empêcher une acquisition à titre particulier (legs), mais n'affecte pas l'acquisition à titre universel (héritage par les héritiers). Les héritiers deviennent les licenciés mais ne peuvent pas transférer la licence à un légataire.
- Les testateurs peuvent disposer de catégories spécifiques d'actifs via un codicille autographe, et peuvent nommer une personne pour succéder aux droits moraux d'une œuvre protégée par le droit d'auteur, ce qui est une exception à la règle générale selon laquelle les droits de la personnalité s'éteignent au décès.
- En l'absence de stipulations contractuelles, les fournisseurs de services doivent accorder l'accès aux héritiers dans les mêmes conditions que le défunt.
- Les licences de services de streaming (Spotify, Netflix) sont généralement non transférables.
- La décision UsedSoft de la CJUE est importante pour les logiciels téléchargés, car elle qualifie certaines licences de logiciel de vente, épuisant les droits de distribution et rendant les copies librement transférables, annulant les clauses de non-transférabilité basées sur les droits de PI.
- Le droit à la vie privée, en tant que droit de la personnalité, n'est généralement pas héritable aux Pays-Bas. La loi néerlandaise sur la protection des données ne s'applique qu'aux personnes physiques vivantes, mais les informations sur les personnes décédées peuvent concerner des personnes vivantes (par exemple, les partenaires de communication). L'accès aux e-mails d'un défunt constitue un traitement de données personnelles des partenaires de communication, nécessitant une base légale.
- Les solutions pratiques incluent la suggestion par les notaires de clauses d'"exécuteur testamentaire des médias sociaux" ou de listes de comptes et mots de passe (qui doivent être mis à jour). L'Association Royale Néerlandaise des Notaires Civils a soutenu le développement de "coffres-forts numériques".
Belgique :
- Le concept d'héritage numérique est répandu, mais le domaine juridique reste peu exploré et manque de clarté.
- La principale difficulté réside dans l'absence d'une définition juridique précise des actifs numériques, rendant difficile leur description exhaustive et leur évaluation.
- En l'absence de régime spécifique, le droit successoral général s'applique "dans la mesure du possible".
- Le droit belge distingue les droits patrimoniaux (évaluables monétairement, héritables) des droits extra-patrimoniaux (droits de la personnalité, généralement éteints au décès ou exercés comme un nouveau droit par les héritiers). Le défunt n'a pas de droit à la vie privée.
- Le droit de la propriété intellectuelle ne prévoit pas de droit sui generis pour les actifs numériques eux-mêmes (comme les noms de domaine), mais s'applique aux bases de données ou aux droits d'auteur sur le contenu numérique.
- En matière de droits de propriété, l'absence de définition de "chose" permet d'inclure des objets incorporels comme les cryptomonnaies ou les fichiers informatiques individuels. La règle "les données suivent le support physique" signifie que le propriétaire du support (ordinateur, clé USB) hérite de son contenu numérique. Les fichiers stockés en ligne appartiennent au fournisseur de services si stockés sur ses serveurs, bien qu'une relation contractuelle puisse obliger le fournisseur à fournir une copie.
- Les droits contractuels sont des droits patrimoniaux. Les héritiers prennent la place du défunt dans les contrats, sauf si la nature du contrat ou une clause l'interdit. Les Conditions Générales de Service (CGS) régissent souvent les données contenues dans les comptes.
- Les CGS ne peuvent enfreindre les droits impératifs (comme la protection des données), mais en l'absence de régime patrimonial clair pour les actifs numériques, les CGS peuvent régir pleinement leur statut patrimonial. Les héritiers acceptent les CGS en acceptant la succession.
- La législation peine à suivre le rythme. Le projet de nouveau Code civil mentionne les biens corporels et incorporels mais pas spécifiquement les actifs numériques.
- Les individus sont encouragés à prendre des mesures préventives, comme tenir un aperçu de leurs actifs numériques précieux avec les mots de passe et rédiger un testament.
En résumé, bien que la notion d'héritage numérique gagne en importance, les cadres juridiques nationaux présentent des variations significatives. La plupart des pays reconnaissent la nécessité de règles adaptées, mais se heurtent à des défis communs liés à la définition des actifs numériques, à la conciliation du droit successoral avec les droits de propriété intellectuelle et la protection de la vie privée, ainsi qu'aux limites imposées par les conditions d'utilisation des services en ligne. Des solutions pratiques et des initiatives législatives sont en cours, mais la complexité du sujet exige une approche plus harmonisée et spécifique.